L’association all4trees vient d’achever une étude sur les enjeux de compensation carbone et de reforestation, en pointant notamment les limites des mécanismes de la certification carbone. De quoi faire réfléchir les entreprises, y compris dans le monde du sport.
L’arbre devient un produit marketing. S’investir dans une démarche de « compensation carbone » en misant sur la reforestation ou la plantation d’arbres est à la mode chez nombre d’entreprises. Au risque de tomber dans le « treewashing » et de se dédouaner de la responsabilité d’une réduction des émissions ?
L’association all4trees, communauté de citoyens et d’organisations engagés pour la préservation et la restauration des forêts, a mené un groupe de travail avec ces questions en tête. Entretien avec son cofondateur, Jonathan Guyot.
En quoi viser une « neutralité carbone » peut être biaisé ?
On ne peut pas compenser avec des projets de préservation et de restauration des forêts qui ont une temporalité beaucoup plus longue que les émissions actuelles, ponctuelles, instantanées. Est-ce que le projet peut disparaître ? Est-ce qu’on aura vraiment stocké le carbone sur la durée ? Il faut avant tout préserver les « puits de carbone » actuels, notamment les forêts sachant que la déforestation représente à peu près 10% des émissions mondiales, soit quasiment autant que les transports.
Quel est donc le véritable enjeu ?
Le vrai enjeu est de stopper le plus rapidement possible cette déforestation, puis de restaurer des terres qui peuvent être reconverties en forêt. Et en prenant bien en considération que, si un jour on a « déforesté », c’était pour des besoins de terres notamment pour l'agriculture. Il faut donc aussi être en capacité de respecter la sécurité alimentaire et d’améliorer les pratiques agricoles.
Se fixer au-delà de 50 euros la tonne, voire 100 euros, est déjà énorme mais c’est le minimum pour commencer à changer des pratiques
Comment valoriser une contribution à un projet de préservation ?
Les mécanismes de compensation carbone permettent de faire « 1 - 1 = 0 », en achetant des crédits carbone, principalement à bas prix. Cela ne finance pas les besoins sur le terrain. Il faut s'assurer que le « 1 » devienne le plus faible possible d'ici une trentaine d’années et aller financer des projets de qualité. Sachant que sur les projets forêt, on ne parle pas de carbone mais de sécurité alimentaire, de biodiversité et de préservation de services écosystémiques. Si on ne regarde que le carbone, on peut prendre des mauvaises décisions.
L’une des conclusions de vos travaux est d’instaurer un « prix carbone » pour les entreprises, pour réduire en interne et contribuer en externe. Quel intérêt ?
On pense que le meilleur levier pour une entreprise est de se fixer un prix carbone interne fort, élevé, évolutif qui va donner un coût à ses émissions et orienter ses investissements pour réduire de plus en plus ses émissions. Si une entreprise s’impose une taxe, cela génère un budget. Ce prix carbone dépend des secteurs d'activités. Les plus émissifs auront un prix très élevé puisque leur transformation coûtera très cher.
Se fixer au-delà de 50 € la tonne, voire 100 €, est déjà énorme mais c’est le minimum pour commencer à changer des pratiques dans le secteur agricole, forestier, qui vont dans le bon sens. Plus on attendra, plus cela nous coûtera cher.
Mettre des 4x4 dans des déserts ou des zones protégées pose question. Quel est le message écologique derrière tout ça ?
Quelles problématiques dans le monde du sport ?
Le domaine du sport commence tout juste, le secteur n’est pas très mature sur ces enjeux. Ce qui ressort des échanges qu'on a eu avec plusieurs acteurs du domaine est qu’il va se poser la question des messages passés à travers les sponsors. Il va y avoir un problème sur le modèle économique du sport qui dépend beaucoup du sponsoring, notamment d'entreprises qui polluent. Ces acteurs ne pourront pas porter des messages engagés sans craindre de perdre des sponsors. Alors qui financera toute cette industrie ? Pas les boîtes les plus « engagées » ou éthiques qui n’auront pas assez d’argent.
Vous avez des cas concrets en tête ?
On voit du bon et du mauvais. Exemple avec ce championnat de 4x4 électrique (Extreme E), soi-disant pour sensibiliser au changement climatique. Mettre des 4x4 dans des déserts ou des zones protégées pose question. Quel est le message écologique derrière tout ça ? C’est un gros enjeu pour tous les sports mécaniques.
Mais c'est vrai que de plus en plus de sportifs s’interrogent sur leur impact. Pour le marathon de Paris qu’on a accompagné, 94% des émissions de CO² proviennent des déplacements des participants, car certains coureurs de l’étranger viennent de très loin. L’empreinte moyenne est de 0,5 tonne par personne (bilan carbone de 25 000 tonnes de CO²pour 60 000 inscrits), soit un quart de notre empreinte carbone visée en 2050, sur toute une année. Pour faire une course, on aura consommé un quart de notre« budget ».
ASO, l'organisateur, veut donc montrer l'exemple ?
C’est l’un des marathons qui regarde le plus sur sa responsabilité, avec l’idée de faire calculer aux participants leur empreinte pour prendre conscience. Mais on peut se demander si on pourra encore se permettre d’organiser des marathons aussi grands que celui de Paris.