Plus facile à dire qu’à faire... C’est quoi, exactement, le foot de demain? On revient sur les interventions des participants à notre talk-show football et écologie du 21 novembre à la REcyclerie (Paris)
Une douzaine d’associations, agences de communication, représentants de médias, entreprises à impact et ONGs ont répondu à l’appel de Game Earth, et Marina Bertsch et Anne-So Supiot ont su animer la discussion d’une main de maitre. Zoom sur les messages et les solutions partagées pendant cette heure et demie de discussion engagée sur un sujet d’actualité :
Delphine Benoît, rédactrice bénévole du média positif et engagé Ecolosport, et Alexis Danjon, journaliste d’investigation spécialisé en écologie, sont d’accord sur le fait qu’une prise de conscience générale assez récente entraîne le milieu du sport, et plus particulièrement celui du football, sur le chemin de la transition écologique. Malheureusement, deux facteurs non négligeables freinent selon eux cette industrie, qui ne prend pas les mesures nécessaires aux changements rapides que demande cette transition écologique : la responsabilité sociale et environnementale des acteurs de l’industrie n’est pas engagée car ils manquent de gouvernance globale et claire, et ils ne font pas de l’écologie et de la protection de l’environnement leur priorité financière.
C’est d’ailleurs avec l’exemple flagrant de la Coupe du monde au Qatar qu’Alexis Danjon illustre ses propos : « le foot ne peut pas justifier d’une empreinte carbone située entre 6 et 7 millions de tCO2e (cf. Greenly) pour une compétition qui va durer un mois ». Selon lui, le foot devra à l’avenir continuer sans spectateurs, avec des matchs à huis-clos comme ceux qui se sont déroulés pendant l’épidémie de la covid-19 par exemple, et que ces changements de procédés sont à accepter et normaliser.
Delphine Benoît assure quant à elle que la ligue de foot professionnelle de ligue 1 et 2 va bientôt rendre obligatoire le calcul carbone, et qu’il est « important de mesurer son empreinte carbone et de connaître son impact pour pouvoir se poser des questions et se doter d’un outil de pilotage sur le sujet ». Mais les divergences constatées dans l’industrie viennent principalement d’un manque d’éducation et de prise de position du côté des présidents de clubs. Alors, comment s’attaquer au cœur du réacteur et rattraper notre retard sur ces problématiques primordiales ?
Thomas Seillé, chargé de projet et responsable RSO au sein de laFédération Française de Football (FFF), essaye de nous éclairer sur ce qui est envisageable pendant les quatre prochaines années, et sur ce qu’il se passe dès maintenant en vase clos à la FFF. Chez eux, la prise de conscience mentionnée plus haut s’est produite en 2019, et est en train de s’achever pour faire place à l’action. C’est pour cela que depuis ce début d’année, la FFF travaille avec des structures comme Game Earth pour contribuer financièrement à limiter son empreinte carbone. Comme Thomas Seillé l’explique, « la contribution carbone sur le terrain se fait de deux manières avec Game Earth : des associations expertes (Football Écologie France, Landestini, WeOcean… etc) sont venues dans huit clubs amateurs durant l’événement annuel de la FFF ‘La Rentrée du Foot’ pour sensibiliser les jeunes, et pour aider les clubs à mettre en œuvre sur le long terme des solutions liées à la transition écologique ».
Antoine Miche, président fondateur et bénévole de l’une des associations en question, Football Écologie France, présente quelques actions menées par cette association d’intérêt général à but non-lucratif qui réunit des passionnés de foot et d’écologie. Comme expliqué pendant le talk-show, les clubs de foot et leur collectivité ont des leviers bien distincts sur la question de la transition écologique, et FEF leur apporte des « compétences, des connaissances, des outils spécifiques et un accompagnement sur les événements pour faire évoluer toute la communauté qui les entoure ». En effet, comme l’indiquent Thomas et Antoine, la polémique du Char à voile chez Killian Mbappé démontre une méconnaissance des enjeux par la population, et seule une formation des acteurs du sport pourra entraîner des actions concrètes et une démarche plus globale. Par exemple, à la FFF, « la contribution carbone n’est pas le seul mécanisme visant à réduire les émissions à effet de serre ».
Chez d’autres, il existe la charte des 15 engagements éco-responsable des organisateurs d’événements sportifs, et les cahiers des charges des instances de l’UEFA et de la FIFA sont de plus en plus exigeants. Mais, encore une fois, le sport (notamment en France!) a 10 à 15 ans de retard sur les questions d’environnement par rapport à d’autres acteurs économiques, déclare Antoine Miche. Selon lui, « une transition écologique bien menée conduit à des avantages socio-économiques ». En plus d’une formation des acteurs, un plan d’action est nécessaire, et les lois doivent évoluer : nous commençons à voir ceci au travers de plans gouvernementaux comme celui sur la sobriété énergétique, par exemple. Enfin, il souligne : « les instances et les acteurs du sport ont leur rôle à jouer dans la transition, mais nous aimerions que les supporteurs deviennent des éco-supporteurs ».
C’est en effet un aspect important qu’appuie également Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. Mais en plus de cela, il pense qu’en parallèle des efforts des supporteurs, notamment lorsque l’on parle de boycott de la coupe du monde 2022, les « personnalités publiques et politiques, ainsi que les anciens sportifs, doivent montrer l’exemple ». En effet, selon Greenpeace, demander seulement aux supporteurs de boycotter est un peu injuste, car ce ne sont pas eux qui ont choisi le lieu de la coupe du monde, et l’action menée n’aura pas forcément l’effet escompté. Sabine Gagnier, chargée de plaidoyer au sein d’Amnesty International France, rejoint cette idée de ne pas appeler au boycott à proprement parler, mais indique aussi que la politique d’Amnesty est plutôt de profiter de l’importance médiatique de tels événements pour mener des campagnes publiques de dénonciation (telles que Ramenez la Coupe à la Raison, ou leurs actions de groupes locaux autour du globe), car cela ouvre le débat. Elle insiste également sur le fait que « la crise climatique a un impact sur les droits humains, et la Coupe du Monde est un événement emblématique parce qu’il allie ces deux enjeux environnementaux et éthiques ».
Jean-François Julliard est tout autant scandalisé, et pense qu’on ne peut absolument plus « limiter la casse environnementale pour cet événement ». En revanche, il espère que nous pouvons le faire pour les prochaines coupes du monde ou autres grands événements sportifs internationaux(GESI) - comme les Jeux Olympiques et Paralympiques - en :
- Prenant en compte la question de l’environnement lors des attributions de GESI
- Limitant le nombre de compétitions et participants (arrêter la surenchère permanente des compétitions sportives)
- Relocalisant les événements
- Limitant le nombre de stades construits grâce à une attribution géographique définitive des lieux
- Interdisant le sponsoring d’événements par les entreprises les plus polluantes et responsables de la crise climatique
En effet, il note que les « premiers pénalisés par la crise climatique sont les populations les plus démunies, et laisser le réchauffement atteindre les +2,6°C signifie une transformation du football, un sport initialement populaire et démocratique, en un privilège de riches ». Il met également le public en garde sur le fait que la crise climatique n’est pas un concept lointain, mais qu’elle nous affecte déjà, et que des actions concrètes doivent remplacer le greenwashing et la compensation carbone, qu’il appelle « la plus grande arnaque de ce siècle ! ». En effet, indiquer que la coupe du monde au Qatar atteint la neutralité carbone « fait croire qu’on annule ce qu’on émet. Lorsqu’on plante des arbres par exemple, il faut compter 50, 60 voire 100 ans pour que l’impact carbone puisse permettre de dire qu’il a compensé le fait que les gens aient pris l’avion. Un arbre qui vient d’être planté n’absorbe rien ! ».
Ces questions d’éthique et de prise de position nous amènent sur un autre sujet, celui des athlètes et sponsors économiques qui refusent de communiquer sur certains sujets environnementaux par peur de représailles sur les réseaux sociaux (social bashing), ou d’atteinte à leur réputation. Selon Sébastien Bellencontre, fondateur de l’agence de communication 4success, il faut éduquer les athlètes lorsqu’ils sont plus jeunes et aller au delà de la formation, afin qu’ils se sentent encouragés à jouer ce rôle de leaders d’opinion, car leur voix compte énormément. D’après lui, « Il faut leur faire comprendre que ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas aujourd’hui irréprochables sur le sujet qu’ils n’ont pas le droit d’en parler, de s’engager, d’essayer de faire changer les choses à leur niveau… Et d’engager d’autres athlètes, institutions dans ce combat ».
François Singer de 17 sport et François Plessis de l’agence Com’Over sont moins optimistes en ce qui concerne les entreprises et les sponsors, qui sont de moins en moins légitimes. Aucun changement de cap n’est à signaler car l’écologie coûte cher, et seul un sérieux remaniement des stratégies d’investissement dans l’industrie peut avoir un impact. Plessis pense qu’il faut « passer outre la critique », qui est de toute façon omniprésente, « et faire de sorte à ce que les actions environnementales envisagées ne soient pas systématiquement mises à la trappe lors des discussions budgétaires des marques ». Il souligne que la « coercition par la loi à travers les pouvoirs publics est également nécessaire », car le rythme actuel d’implantation de changements radicaux est trop lent. Singer ajoute que ces prises de positions de la part des clubs et fédérations, au travers de critères éco-responsables de sélection des marques, peut et doit mener à un « modèle économique contributif et régénératif ». La solution serait donc d’expliquer à la gouvernance qu’elle a les moyens financiers d’intégrer la RSE à son quotidien, d’ « œuvrer pour le bien commun et créer de la valeur économique positive ».
Des solutions existent, mais le directeur de Greenpeace nous met en garde : « Attention à ne pas faire porter toute la culpabilité au sport amateur, car les émissions les plus élevées chez les spectateurs sont en majorité liées au sport professionnel. Les sportifs professionnels sont plus susceptibles de déclencher des changements que les sportifs amateurs ».
Mais les sportifs amateurs ont des outils à leur disposition, et peuvent agir dès maintenant, comme l’indique Arnaud Gandais, président de l’association Match for green. Il rejoint l’avis de Delphine Benoit et Alexis Danjon : la gouvernance doit diffuser des messages plus positifs sur ces sujets de transition écologique, et ses acteurs doivent passer à l’action, même si cela signifie remplacer les personnes qui ont le plus de responsabilités stratégiques. Sur l’autre front, il indique que « n’importe quel club amateur et acteur peut s’améliorer et acquérir des compétences (qui permettent d’ensuite passer à l’action) en éco-responsabilité, et d’engager leur communauté ». Match for green propose des outils de formation pour tous ces acteurs, et le but de l’association est de transformer le fonctionnement des clubs professionnels et amateurs.
L’Agence Parisienne du Climat, représentée par Marin Pugnat, met également un outil à disposition de ces clubs, le guide Sport Zéro Plastique. Il s’applique à tous les sports, pas seulement au foot, et vise à tirer un trait sur le plastique à usage unique dans les clubs sportifs amateurs. Marin Pugnat explique « Venir avec sa gourde est un premier pas (mais cela implique qu’il y ait des fontaines à eau sur les terrains, ce qui peut être un investissement), ou utiliser du matériel et équipements de seconde main. On se concentre sur les mesures faciles à mettre en place, car les clubs amateurs ont peu de temps à consacrer à ces sujets ». Il faut tout de même noter la mention du club britannique des Green Forrest Rovers par François Singer, club qui mène par l’exemple et montre qu’une autre manière de faire existe : « Quand ils jouent à la télé, tous les médias veulent les voir, et les sponsors se battent pour s’associer à leur image ».
Du côté des supporteurs, Romain Lauvergnat de Stadium Go encourage l’éco-supportérisme et pousse au covoiturage car, d’après lui,« 70% des émissions d’un club sont représentées par les déplacements des spectateurs ». Enfin, le calculateur interactif mon Match Carbone, un outil développé grâce au fonds de dotation de Game Earth et le cabinet BL Évolution, permet à n’importe quel sportif amateur de calculer l’empreinte carbone de sa passion. Comme l’explique Benjamin Adler, président de Game Earth, « avoir un chiffre ne fait pas grand-chose, mais sensibiliser sur les secteurs d’émissions (mobilité, digital, visionnage télé… etc) pendant le parcours utilisateur peut avoir un impact ». Et n’oublions pas, selon Charles-Adrien de BL Évolution, « le meilleur geste écologique en tant que téléspectateur pendant cette coupe du monde est de regarder le match à plusieurs » !